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ENTRE DEUX RIVES 

la passerelle France - Orient 

Le Père Jacques Rhétoré, face au Panthéon

A Paris, en venant voir l’exposition « Mossoul –métropole chrétienne dans la plaine de Ninive », à la Mairie du 5ème arrondissement, une grande photo du père Jacques Rhétoréexactement en face du Panthéon, attire l’attention : mais qui, facilement, peut identifier ledominicain dans ce personnage vêtu d’un magnifique habit kurde, assis sur un tapis etfumant un chibouq, sa longue pipe dont le foyer, au bout d’un long tuyau, traîne par terre.Alors il faut observer son visage calme et majestueux, car on va le retrouver dans bien des photos exposées : Ici, c’est le frère Jacques au couvent de Mossoul ; là il est dans les montagnes turques d’Achitha, parmi les Assyro-chaldéens qui sont les ancêtres de plusieursfamilles installées aujourd’hui à Marseille ; ailleurs on voit le frère à Van en région arménienne, parmi ses élèves, des jeunes dont on peut se demander avec angoisse ce qu’ils sont devenus en 1915. Plusieurs de ces photos sont extraites d’un album relié en cuir rouge avec un titre en lettres d’or, daté de 1900, qui se trouvait en permanence dans la salle commune du couvent de Mossoul, et que l’on montrait aux visiteurs : on peut le voir durant ces jours d’exposition à l’Hôtel de Soubise. Beaucoup de photos sont visibles dans la double exposition : « Grandes Heures des Manuscrits irakiens», et « Mossoul, Métropole chrétienne dans la plaine de Ninive ».

Le frère Jacques Rhétoré, fils de la province dominicaine de Toulouse, est né le 24 avril 1841, à la Charité-sur-Loire. Il fit son noviciat au couvent de Saint-Maximin, où, le 3 septembre 1866, il fut ordonné prêtre et célébra le lendemain sa première messe à la Sainte-Baume. Le père Jandel, Maître de l’Ordre, connaissant son désir d’aller en Mission, le nomma, en 1871, prieur du couvent de Corbara, pour qu’il y travaille à la formation des missionnaires de l’Ordre. Quant à son propre départ à Mossoul, il fut retardé jusqu’en 1874 à cause de sa faible santé. Sa vie illustre bien l’épopée missionnaire des pères de Mossoul : de 1874 à 1879 il est à la maison de Mar Yacoub ; de 1881 à 1908, il est parmi les Arméniens à Van. Connaissant bien les langues parlées dans la région le turc, l’arabe, le kurde, le chaldéen, le soureth et l’arménien, il regroupa dans un petit livre, connu sous le nom de Daoud Kora, des poésies, des fables et des cantiques populaires de la montagne kurde. En 1908, le père Berré, supérieur de la Mission de Mossoul, demanda au pèreRhétoré, alors septuagénaire, de s’installer à Achitha, dans le Hakkari turc, à près deux mille mètres d’altitude : il y resta jusqu’en 1911. Là, il put observer longuement et décrire la piété et la pratique sacramentelle des Assyriens, Nestoriens, notamment en ce qui concerne la distribution de l’Eucharistie. C’est ainsi qu’il note que les adultes reçoivent la communion sous les deux espèces, les enfants au-dessous de douze ans sous l’espèce du pain seulement. Les enfants reçoivent du prêtre une parcelle sur la langue, mais les adultes reçoivent la parcelle dans la main droite et se communient eux-mêmes : « A la porte du sanctuaire, du côté de l’épitre, est un encensoir fumant. Chaque communiant, en passant devant, s’y parfume les mains, le visage et la poitrine ; puis arrivant devant le prêtre et restant debout, il lui baise la main et lui présente sa main droite étendue et croisée sur la gauche. Le prêtre y dépose une parcelle d’hostie que le communiant absorbe aussitôt en léchant sa main, qu’il passe aussitôt sur son front pour l’essuyer ; après quoi il va devant le sous-diacre, baise la manche de son aube, boit au calice, s’essuie la bouche à la serviette et se retire par le côté de l’évangile, tenant sa main sur ses lèvres. Les femmes sont communiées de la même manière, mais à la fin de la messe, après que les hommes se sont retirés. Je fus frappé de l’ordre et du recueillement que je vis régner dans cette cérémonie ». Le rayonnement du père Rhétoré fut très grand, ainsi que celui de ses livres, il contribua à donner à de nombreuses familles d’Achitha et de toute sa région, une formation chrétienne très solide.

Dès le début de la guerre, le père Jacques Rhétoré, quittant ses montagnes, revint à Mossoul où la déportation vers Mardine l’attendait. « Au début de la grande guerre, il (le père Rhétoré) est pris en otage par le gouvernement ottoman, en compagnie des pères Berré et Simon ; alors que les autres missionnaires sont évacués en France en 1915, les trois exilés sont déportés à Mardine, Konia, puis Constantinople. Le père Rhétoré a la douleur d’apprendre le massacre des Arméniens de Van, et la ruine définitive de la mission qu’il avait fondée, et à laquelle il avait consacré près de trente ans. En 1918, après la signature de l’armistice, plutôt que de rentrer en France avec ses compagnons, il préfère rester au couvent dominicain de Galata, afin de pouvoir rentrer à Mossoul à la première occasion. Il rejoint deux pères venus de France par la Syrie, et tous trois atteignent Mossoul au commencement de l’année 1920 ».

A Mardine le père Rhétoré fut témoin, avec le père Hyacinthe Simon, des souffrances et des massacres de chrétiens. Le père Simon a résumé en quelques mots ce qui se passait alors: « Lorsque les Kurdes arrivaient dans un village chrétien, les hommes tuaient et les femmes pillaient ». Après la guerre, le père Rhétoré pu rentrer à Mossoul, le 30 janvier 1920, et c’est là qu’il y mourut le 14 mars 1921 dans cette Mission à laquelle il avait donné sa vie. Sa tombe se trouve (je l’espère bien) encastrée dans le mur du corridor qui passe sous lasacristie de l’église, à côté de celle du père Hyacinthe Simon.

Parmi les ouvrages du Père Rhétoré, rappelons sa célèbre « Grammaire de la langueSoureth ou Chaldéen vulgaire, selon le dialecte de la plaine de Mossoul et des pays adjacents», imprimée à Mossoul en 1912. C’est un livre fondamental pour connaitre l’état de cette langue et pour l’enseigner avec les caractères chaldéens.

Le Père Mannès Brelet qui passa sa vie au service du Séminaire Saint-Jean et qui futarchiviste de la Mission (décédé à Paris en 1969) a évoqué ainsi le frère Jacques : « Nous devons placer le Père Rhétoré au tout premier rang des meilleurs ouvriers de la mission, tant par la qualité et la durée des services rendus, que par l’importance des charges qui furent confiées à cet infatigable apôtre. On peut dire que le Père Rhétoré a été un missionnaire dans toute la force du terme, aimant passionnément la mission et lui consacrant toute les ressources de sa belle intelligence et de ses exceptionnelles qualités naturelles et surnaturelles ».

Il y avait aux archives du couvent de Mossoul un important lot de textes écrits par lespères Rhétoré et Simon. Lorsque l’on entendit parler en 1975, de la prochainenationalisation des écoles et des bibliothèques, j’ai profité, comme archiviste, d’un voyage qu’allait faire en France le frère Vincent Lecomte pour lui remettre plusieurs des cahiersdu P. Rhétoré dont j’avais lu au moins les titres : « Les chrétiens au bêtes » et, du père Simon, «Mardine, la ville héroïque, autel et tombeau de l’Arménie durant les massacres de 1915 ». Le frère Vincent remarqua alors d’autres cahiers du Père Rhétoré concernant la langue soureth, l’araméen parlé (La versification en soureth…, grammaire du sourethoriental…), il n’hésita pas un instant à les ajouter dans ses bagages et il apporta le tout aux Archives provinciales en octobre 1975.

Frère Jean-Marie Mérigoux,

Marseille, le 8 juin 2015, en la fête de saint Ephrem

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